Aux origines de l’art abstrait

De l’impression à la sensation I

De l’image sonore de Freud à l’image acoustique de Saussure

Chapitre 1

De l’image sonore de Freud à l’image acoustique de Saussure

La Sociocritique s’intéresse avant tout à la façon dont les structures socioéconomiques s’incorporent dans les structures textuelles, en précisant cependant que cette incorporation n’ est jamais directe ni automatique dans la mesure où chacun des niveaux impliqués (l’ infrastructure et la superstructure) a une histoire et un temps (c’est-à-dire un rythme d’ évolution) qui lui sont propres. Notre hypothèse fondamentale s’appuie ainsi sur la notion de formation sociale constituée selon Karl Marx par la coexistence de plusieurs modes de production (médiéval, pré-capitaliste, capitaliste, pour l’âge classique par exemple). Pour nous, cette formation sociale génère une formation idéologique qui s’exprime dans une formation discursive. La notion de formation sociale peut sembler peu adaptée à l’évolution des sociétés modernes dont les modes de production capitalistes tendent à s’organiser à l’ identique mais son intérêt ne manque pas d’ être évident si on admet qu’en réalité la spécificité de tout mode de production renvoie à un temps historique précis. La notion de formation sociale peut ainsi être re-définie par la co-existence, à un moment déterminé de l’Histoire, de plusieurs temps historiques. On doit considérer alors que ces divers temps historiques sont liés entre eux et constituent de la sorte un système régi par l’hégémonie de l’un d’entre eux, le temps présent en l’occurrence. C’est ce système qui génère la formation idéologique correspondante. On ne peut imaginer en effet que chacun des divers temps historiques impliqués intervienne directement dans cette formation.
La complexité de ce processus nous apparaîtra plus nettement encore si on se souvient de ce que ce second système, à savoir la formation idéologique, n’évolue pas forcément au rythme du premier, qui cependant l’engendre, mais, également, en fonction de sa propre histoire. Et on peut en dire autant des rapports qui s’ établissent entre le niveau idéologique et le niveau discursif où nous supposons que s’inscrit en dernière instance le matériau socio-économique. On retiendra donc, d’une part que le processus d’incorporation de l’Histoire implique des mécanismes de médiation, de transfert, de décrochement, d’adaptation, d’autre part que, de toutes façons, en passant d’un système (infrastructurel) à un autre système (idéologique) et de celui-ci au troisième (discursif) nous avons successivement traversé le contexte de trois rythmes différents, c’est-à-dire de trois temps historiques qui ne coïncident que partiellement. Or, à l’intérieur de chacun de ces trois niveaux et entre l’un et l’autre nous devons imaginer une série d’instances qui se présentent soit comme parfaitement adaptées au temps hégémonique du présent ou, au contraire, en retard ou en avance. Lorsqu’on s’interroge sur le mécanisme qui régit ce flux ininterrompu de l’Histoire on constate que ce sont ces multiples déphasages qui l’impulsent, dans la mesure où les instances adaptées au temps présent ou « en avance » sur leur temps exercent toujours une force d’attraction sur celles qui sont « en retard ». Le pluri système qui nous intéresse, à savoir la totalité des trois formations (sociale, idéologique et discursive) « se présente de fait comme un dispositif de production fonctionnant sur un régime d’inégalité où les déséquilibres induisent des mutations » (Louis Althusser ) . (Cros : 2005, 57 et sq.)
La notion d’instance intermédiaire peut sembler trop abstraite, ce qui m’amène à proposer un exemple concret et, donc, à envisager, dans cette perspective, une période historique relativement large ( la deuxième moitié du XIX siècle et la première décennie du XX e) pour montrer comment une instance intermédiaire, en ce cas l’Esthétique scientifique, articule les deux niveaux de l’infrastructure et du champ culturel. Je prendrai en compte, pour cela, les principales manifestations culturelles de l’époque impliquée, depuis les premiers travaux de Freud et ceux de Saussure jusqu’aux manifestes qui concernent la Poétique et la peinture abstraite, en examinant comment certains micro phénomènes discursifs reproduisent des régularités textuelles chargés d’Histoire.

1- Du « schéma psychologique de la représentation du mot »

« La Représentation consciente associe la représentation de chose et la représentation du mot afférente » (Freud)

Dans le récit qu’il fait de ses études sur l’hystérie, Freud est particulièrement attentif à l’acuité plastique des représentations qui terrifient les malades : c’est, par exemple, en effet à sa demande qu’Emmy « confirme que pendant son récit elle a réellement vu se dérouler avec leurs couleurs naturelles les scènes qu’elle racontait […] Chaque fois que ces souvenirs lui reviennent à l’esprit, elle en revoit les scènes avec toute l’acuité du réel. » Cette façon de présenter les choses (« A ma demande, elle confirme« …) implique d’une part que l’analyste ait posé à sa patiente une question sur ce point précis qu’il juge important et d’autre part que cette question s’articule sur une hypothèse qu’il souhaiterait voir confirmée ou infirmée. Effectivement, dans leur « Communication préliminaire » J. Breuer et S. Freud insistent sur la netteté hallucinatoire qui caractérise l’apparition des phénomènes hystériques : »Nos observations prouvent que, parmi les souvenirs, ceux qui ont provoqué l’apparition de phénomènes hystériques ont conservé une extraordinaire fraîcheur et, pendant longtemps, leur pleine valeur émotionnelle […] Ce n’est qu’en interrogeant des patients hypnotisés que ces souvenirs resurgissent avec toute la vivacité d’événements récents. Six mois durant, une de nos malades revécut avec une netteté hallucinatoire tout ce qui l’avait émue […] Une autre malade revivait […] également avec une netteté hallucinatoire […D’autres souvenirs encore, vieux de quinze à vingt ans et très importants au point de vue étiologique réapparurent aussi dans leur surprenante intégralité et toute leur force sensorielle, déployant, lors de leur retour, toute la puissance affective propre aux événements récents." (6-7)
Ces citations évoquent sans doute une scène intérieure mais elles mettent en relief surtout un regard également intérieur. Or ce regard s’articule directement sur le récit. Freud fait observer, à propos de ces souvenirs pathogènes, que leurs représentations plastiques s’estompent au fur et à mesure que ces souvenirs sont verbalisés, c’est à dire mis en récit :
"Lorsqu’une image a réapparu dans le souvenir, le sujet déclare parfois qu’elle s’effrite et devient indistincte à mesure qu’il en poursuit la description. Tout se passe quand il transpose la vision en mots, comme s’il procédait à un déblaiement. L’image mnémonique elle-même fournit l’orientation, indique dans quelle direction le travail devra s’engager. […] Une fois le travail terminé, le champ visuel redevient libre et l’on peut évoquer une autre image. Mais parfois la même image continue opiniâtrement à se présenter à la vue intérieure du malade bien qu’il l’ait déjà décrite. C’est alors pour moi l’indice que le malade a encore quelque chose d’important à me dire à propos de cette image. Dès qu’il l’a révélé, l’image disparaît à la manière d’un fantôme racheté qui trouve enfin le repos. ».(226-227 ; c’est moi qui souligne)
Dans leur « Communication préliminaire », Breuer et Freud, en faisant la synthèse des observations qu’ils ont pu faire sur les cas qu’ils ont étudiés, précisent que le symptôme hystérique disparaît lorsque le patient donne à son émotion une expression verbale.
« Á notre très grande surprise, nous découvrîmes, en effet que chacun des symptômes hystériques disparaissait immédiatement et sans retour quand on réussissait à mettre en pleine lumière le souvenir de l’incident déclenchant, à éveiller l’affect lié à ce dernier et quand,ensuite, le malade décrivait ce qui lui était arrivé de façon fort détaillée et en donnant à son émotion une expression verbale. Un souvenir dénué de charge affective est presque toujours totalement inefficace. Il faut que le processus psychique originel se répète avec autant d’intensité que possible, qu’il soit remis in statum nascendi, puis verbalement traduit. »(4 ; souligné dans le texte)

En 1891 dans sa « Contribution à la conception des aphasies », Freud associe la perception visuelle de l’objet à « l’image sonore » (l’expression est de lui) du mot qui le désigne et propose un « schéma psychologique de la représentation du mot » qui fait apparaître le caractère indissociable des deux éléments constitutifs d’une même unité (image sonore du mot + représentation visuelle de l’objet). (Cf infra). Dans « Sur le mécanisme psychique de l’oubli » (Freud : 1898 in 1984, 100-101) il raconte comment, alors qu’il essayait en vain de se souvenir du nom de l’auteur des fresques du Jugement dernier à la chapelle Saint Brice d’Orvietto, il voyait cependant avec la plus grande netteté le visage de l’artiste :

Mais le nom du peintre m’échappait et demeurait introuvable. Je forçai ma mémoire, je fis défiler devant mon souvenir tous les détails de la journée passée à Orvietto, j’acquis la conviction que pas la moindre chose ne s’en était effacée ni obscurcie. Au contraire je pus me représenter les peintures avec des sensations plus vives que je ne le puis habituellement ; et avec une particulière acuité se tenait devant mes yeux l’autoportrait du peintre -le visage grave, les mains croisées -, que celui-ci a placé dans le coin d’une peinture à côté de celui qui l’avait précédé dans ce travail […] jusqu’à ce que je rencontre un Italien cultivé qui me libéra en me communiquant le nom : Signorelli. Je pus alors de moi-même ajouter le prénom de l’homme, Lucas. Le souvenir trop clair des traits du visage du Maître sur sa peinture pâlit peu à peu. ( in Huot :1987, 201)

Lorsque le nom est oublié la représentation visuelle des traits du peintre est en quelque sorte illuminée mais celle-ci s’évanouit lorsque ce nom est à nouveau verbalisé. Il ne s’agit pas d’une simple équivalence qui permettrait à un des deux niveaux de se substituer à l’autre mais d’une continuité indivisible. Lorsqu’un des deux niveaux est altéré ou lorsque cette unité que constituent l’image visuelle de l’objet et l’image sonore du mot se désagrège, il s’agit pour Freud d‘une ‘aphasie symbolique’.

Pour Freud le lien du langage au monde des « objets » sensibles passe par l’œil (l’image visuelle de l’objet) et la parole (l’image sonore du mot), et Freud nomme la conséquence d’un trouble ou d’une rupture de ce lien « aphasie symbolique ». « Que des troubles dans les éléments optiques des représentations d’objet puissent exercer une telle action sur la fonction du langage s’explique par le fait que les images visuelles sont les parties les plus saillantes et les plus importantes de nos représentations d’objet. » (Freud : 1983,127, in Huot : 1987, 66)

Cette théorie sur le caractère indissociable des deux images (l’image sonore et l’image visuelle ) repose sur l’expérience clinique de Freud qu’il évoque à plusieurs reprises comme, par exemple, dans ce passage tiré de sa Contribution à la conception des aphasies (1891) :

Si le travail de la pensée s’accomplit essentiellement chez un homme à l’aide de ces images optiques […] alors des lésions bilatérales dans l’aire corticale optique doivent également provoquer des troubles des fonctions du langage, qui dépassent de loin ce qui peut être expliqué par la localisation. […] Chez un ‘parleur visuel’, une lésion de l’élément visuel n’entraînerait pas seulement la cécité des lettres, mais le mettrait aussi dans l’incapacité de se servir de son appareil du langage. (Freud : 1983, 130, 149, in Huot : 1987, 28)

2 - Une définition radicalement nouvelle de la perception

Sur ce point, on se doit de souligner que Freud se forme pendant six ans à la recherche expérimentale dans un laboratoire d’Optique Physiologique (Voir Infra) en phase directe avec les progrès de la technologie, ce qui peut expliquer, comme le suggère Hervé Huot, qu’il « ne cesse pas de prendre comme modèles de comparaison pour l’appareil psychique des instruments d’optique, microscope, télescope ou appareil photographique. » (Huot : 1987, 25). Il participe d’une recherche collective qui aboutira à une redéfinition radicalement nouvelle des mécanismes et de la nature de la perception, redéfinition dont on mesurera les effets dans divers champs culturels et, entre autres, dans le débat sur l’art non figuratif ( Cf. infra). Pascal Rousseau évoque ainsi « une reconfiguration de la perception par la médiation technologique » ou encore, « le modèle ‘ mécaniste ‘ de la perception qui, dit-il, hante le XIXe siècle :

« Nous sommes, en effet, ajoute-t-il, à une époque où on croit fermement que la physiologie expérimentale va non seulement contribuer à la compréhension des mécanismes de la sensibilité mais à celle du fonctionnement même de la pensée. La vision, les phénomènes d’attention ou de mémoire trouveraient une explication unifiée dans l’exploration du système nerveux, avec pour paradigme dominant le modèle de la transformation électrique des sensations. » (Rousseau : 2003, 26)

Freud est conduit, dans son approche des représentations hallucinatoires, à distinguer les processus respectifs de la perception et de la mémoire :
« Il existe donc des neurones perméables servant à la perception (qui n‘opposent aucune résistance et ne retiennent rien) et des neurones imperméables résistants et rétenteurs de quantité (Qn) ; de ces derniers dépendent la mémoire et probablement aussi les processus psychiques en général. » (« Esquisse d’une psychologie scientifique » (1895) in Huot :1987,67)

Il partage sur ce point l’opinion qu’exprime son maître et ami Joseph Bauer, dans ses « Considérations théoriques » (Freud:1981,146-204) « Á mon avis, les ‘représentations’, les images mnémoniques même les plus vives ne peuvent, à elles seules, sans excitation de l’appareil percepteur, acquérir un caractère objectif, celui qui fait justement de l’hallucination ce qu’elle est. » Bauer précise, à ce propos, dans une note en bas de page :

« Cet appareil de perception (y compris les sphères corticales sensorielles) doit être différent de celui qui reproduit, sous la forme d’images mnémoniques, les impressions sensorielles. Une condition nécessaire de la fonction remplie par l’appareil percepteur est l’extrême rapidité du restitutio in statum quo ante, sans quoi d’autres perceptions ne pourraient plus se produire. Pour la mémoire, au contraire, une telle restauration ne saurait s’effectuer et toute perception crée une modification permanente. Il est impossible qu’un seul et même organe suffise à ces deux conditions contradictoires. […] j’entends parler ainsi de l’appareil percepteur dans son ensemble sans spécifier s’il s’agit d’une excitation des centres sous-corticaux. Nous devons admettre qu’il est affecté d’une excitation anormale, caractère qui, justement, rend possible l’hallucination » (149-150)

[On sera sensible aux formulations choisies respectivement par les deux biologistes et qui démontrent qu’il s’agit bien de recherches en cours de développement : probablement aussi les processus psychiques en général… Cet appareil de perception doit être différent… Nous devons admettre qu’il est affecté d’une excitation anormale…]
Dans cette première période de sa carrière scientifique, Freud est, en effet, avant tout un anatomiste du cerveau qui s’intéresse plus particulièrement à l’optique physiologique. En 1885, il fait un stage de trois mois en ophtalmologie et rencontre plusieurs grands ophtalmologues au cours de son séjour à Paris auprès de Charcot.« En tant que clinicien, écrit-il à Carl Koller le 13 oct.1886, j’ai en effet à m’occuper tout spécialement de l’étude de l’hystérie et on n’a pas le droit, de nos jours, de publier quoi que ce soit dans ce domaine sans mesure du champ visuel. » ( Huot : 1987, 22)
C’est probablement en raison de ce premier centre d’intérêt qu’il en est venu à s’intéresser aux troubles qui affectent l’organe de la vue dans le cas des comportements hystériques. Hervé Huot cite un passage de l‘un de ses articles (« Hystérie », 1888) particulièrement représentatif de ce qu’a été sa pratique clinique :

« Le trouble hystérique de la vision prend la forme d’une amaurose unilatérale ou d’une amblyopie, jamais d’une hémianopsie. Les symptômes en sont : ophtalmoscopie normale, suppression du réflexe conjonctival (diminution du réflexe cornéen), rétrécissement concentrique du champ visuel, réduction de la sensibilité à la lumière, et achromatopsie. Dans cette dernière, la sensation du violet disparaît en premier, celle du rouge et du bleu subsiste le plus longtemps. Ces phénomènes ne concordent avec aucune théorie de la cécité des couleurs, chaque sensation de couleur se comportant indépendamment des autres. Les troubles de l’accommodation et les erreurs qui en découlent sont fréquents. Lorsqu’on approche ou éloigne les objets de l’œil, la perception de leur taille est déformée et leur vision dédoublée ou multipliée. » (Huot :1987, 21)

On se souviendra également de ce que les deux premières patientes hystériques soignées par Breuer et Freud souffrent de troubles de la vision (Anna O… par Breuer et Emmy Von N… par Freud)
Dans la gestation de ce qui va devenir la psychanalyse, la deuxième étape, également fondamentale, du parcours scientifique de Freud correspond à ce qu’a été sa rencontre avec Charcot, c’est à dire avec l’hystérie et l’hypnose. Or les deux champs, qu’il s’agisse de la pathologie ou de sa thérapie, ne peuvent éviter de poser le problème du rapport qui s’établit entre la représentation et le mot, entre la vision et le langage. Comme nous l’avons constaté , Freud dés sa Contribution à l’étude des aphasies, relie certains troubles des fonctions du langage à des lésions bilatérales dans l’aire corticale optique. L’hypnose, de son côté, met en jeu cette relation sur d’autres modes :

Lorsque l’hypnotiseur dit ‘Votre bras bouge tout seul, vous ne pouvez pas le retenir’, le bras se met à bouger et l’on voit l’hypnotisé s’efforcer vainement de l’immobiliser. La représentation que l’hypnotiseur a communiquée à l’hypnotisé par l’intermédiaire du mot a provoqué ce comportement psycho corporel qui correspond exactement à son contenu. (Freud : 1984, 15-16, in Huot : 1987, 31, C’est moi qui souligne)

On peut déduire des remarques et des citations qui précèdent que c’est en étudiant la physiologie de l’œil que Freud découvre l’étroite corrélation qui lie cette physiologie à la problématique du langage. Le discours scientifique produit par le champ de recherche clinique qu’est l’optique physiologique constitue donc un élément capital dans le cheminement d’une pensée qui se précise et s’enrichit au cours des années que Freud consacre à l’étude des hystéries.
Georges Roque, nous rappelle que l’optique physiologique a connu un extraordinaire essor dans la seconde moitié du XIXe siècle, en particulier grâce aux travaux de Hermann Von Helmholtz. »

Comme l’a expliqué Georges Guéroult, qui a traduit en français la Théorie physiologique de la musique, les rayons lumineux produisent dans l’œil « une impression que les nerfs de la rétine transmettent au cerveau sous forme de sensations. » Deux processus distincts sont ainsi opposés : l’impression, enregistrement passif par la rétine, et la sensation, résultat de la transformation de cette impression par une série de mécanismes neurologiques faisant intervenir la mémoire, comme le signale Guéroult. Un autre helmholtzien, Auguste Laugel, affirmait encore plus clairement que « la sensation est l’œuvre, non du nerf optique, mais du cerveau. » (Roque : 203b, 51)

L’Optique physiologique de Helmholtz (1856-1866) a été traduite en français par E. Javal et N.T. Klein en 1867. Son influence , directe et indirecte, sur les théories sur la peinture et de la musique à la fin du XIXe siècle est manifeste et apparaît fondamentale. Il a, entre autres choses, étudié les couleurs en supposant qu’existaient trois couleurs fondamentales, le rouge, le vert et le violet, qui correspondaient à trois types de terminaisons nerveuses. De ses analyses physiologiques il a déduit une théorie de la connaissance. Or Freud doit être situé dans ce contexte : de 1876 à 1882, il a travaillé en effet dans l’Institut de Physiologie de Vienne dirigé par le docteur Brücke qui appartenait précisément à l’école d’Helmholtz. Il y fait des recherches sur l’anatomie du cerveau ; en 1879 il propose de nouvelles méthodes histologiques (« Notes sur une méthode de préparation anatomique du système nerveux. ») De 1882 à 1884 il publie plusieurs articles scientifiques sur le même sujet : « Structure des fibres et des cellules nerveuses de l’écrevisse. » ( 1882), « Une nouvelle méthode pour l’étude du trajet des fibres dans le système nerveux central » (1884), « Une nouvelle méthode pour l’étude des fibres nerveuses dans le cerveau et la moelle épinière. » (1884) (Huot : : 1987, 22-23). En 1885, il effectue un stage de trois mois dans un laboratoire d’ophtalmologie de Vienne et, au cours de son séjour à Paris, où il arrive la même année, « il rencontre l’ophtalmologue Parinaud,, ‘le premier ophtalmologue de New York, Knapp et le physicien oculiste Cornu qui travaille sur la vitesse de la lumière et les rayons ultraviolets. » (Huot : 1987, 22) Il a fait le voyage pour rencontrer Charcot « le plus grand chercheur de la jeune science de la neurologie, le maître des neurologues de tous les pays » (Freud parlant de Charcot dans une notice nécrologique). Cette rencontre est capitale pour la genèse de la psychanalyse : après s’être consacré pendant neuf ans à faire des recherches sur l’anatomie du cerveau, il en passera dix autres, de 1885 à 1895, à étudier l’hystérie, comme un prolongement logique de sa trajectoire euristique. Quand il revient de Paris, en 1886, il étudie le cas d’un homme hystérique qui présente de graves troubles de la vision :

Et, en fait, lorsque j’examinai le patient pour la première fois, il montra dans les deux yeux la singulière diplopie monoculaire des patients hystériques et des troubles dans la vision des couleurs. Avec son œil droit, il reconnaissait toutes les couleurs sauf le violet, qu’il nommait « gris » ; avec son œil gauche, il reconnaissait seulement une lumière rouge et une jaune, alors qu’il voyait toutes les autres couleurs, comme du gris si elles étaient éclairées et comme du noir si elles ne l’étaient pas. (Freud : 1966, 27-28, in Huot : 1987, 29-30)

3- Un nouveau langage

Cette redéfinition de la perception entraîne la naissance d’un nouveau langage. Pour définir ce qu’est ce dernier, je prendrai l’exemple, entre bien d’autres possibles , de ce qu’écrit Freud à propos d’une « dame souffrant depuis de nombreuses années d’idées obsédantes et de phobies qui, tout en rapportant l’apparition de ses troubles à ses années d’enfance, en ignorait absolument la cause. »

Quand je demandai à cette dame si, sous la pression de mes mains, elle avait vu quelque chose, elle me répondit : « Rien du tout, mais tout à coup j’ai pensé à un mot. » -« Á un seul mot ? » - « Oui, mais ça me semble trop bête. » - Dites-le quand même. » - « Eh bien, concierge. » - « Rien d’autre ? » - « Non. »- J’exerce une deuxième pression et un autre mot lui traverse l’esprit ; « Chemise. » - Je remarque alors qu’il y a ici une nouvelle façon de répondre et, en répétant la pression, je provoque l’énonciation d’une série de mots en apparence dénué de sens : « Concierge, chemise, lit, ville, charrette. » -« Que signifie tout cela ? » -Elle réfléchit un moment puis une idée lui vient à l’esprit : « Il ne peut s‘agir que d’une histoire dont je me souviens maintenant. J’avais 10 ans et celle de mes sœurs dont l’âge se rapprochait le plus du mien - elle avait 12 ans – eut, une nuit un accès de délire. On fut obligé de la ligoter et de la transporter sur une charrette à la ville. Je sais avec certitude que c’est le concierge qui la maîtrisa et qui la conduisit ensuite à la maison de santé. »Nous persévérons dans notre méthode de recherche et notre oracle nous fait entendre d’autres paroles que nous ne pûmes toutes interpréter, mais qui permirent de poursuivre cette histoire et de lui en rattacher une autre […] L’originalité de ce cas ne tient qu’à l’apparition de mots importants isolés dont nous devions ensuite faire des phrases car le manque apparent de rapports et de liens affecte toutes les idées, toutes les scènes généralement évoquées par la pression, de la même façon qu’il affectait les mots lancés comme des oracles. Par la suite, on est toujours en mesure d’établir que les réminiscences en apparence décousues se trouvent étroitement liées par des connexions d’idées et qu’elles mènent tout à fait directement au facteur pathogène recherché. » ( 222-223 ; c’est moi qui souligne)

Nous nous trouvons ici en face de deux types de langage : le premier est celui qui correspond au discours de l’analyste, lequel, à partir de quelques signes isolés et dépourvus, en apparence, de tout sens, fait des phrases et propose un récit : « Bientôt aussi nous arrivâmes à saisir la signification de ces réminiscences. Si la maladie de sa sœur l’avait aussi vivement frappée, c’est qu’elles partageaient un secret. ; couchant dans la même chambre, elles avaient toutes deux été, une certaine nuit, victimes d’une tentative de viol par le même homme. » Mais, en fait, dans l’explication qu’il nous donne, Freud transcode un tout autre langage qui relève, semble-t-il, de ce qu’il appelle, quelques lignes plus haut, l’intelligence inconsciente. (« Il arrive parfois que les renseignements obtenus par le procédé de la pression se produisent sous une forme très curieuse et qui fait apparaître plus séduisante encore l’hypothèse d’une intelligence inconsciente. » 222). Dans ce langage, avant donc qu’il ne soit transcodé, les idées sont décousues, elles ont perdu tout lien apparent d’intelligence ; le signe, de son côté, ne relève pas de la sémantique ordinaire, il ne signifie que par rapport à d’autres signes ; il n’est signifiant que par rapport à d’autres signifiants. Il ne signifie que dans la mesure où il est en rapport avec un autre et dans la mesure où ce rapport passe par une co-référence. Avant cette mise en rapport, il est vide de tout sens , en attente d’être investi précisément par cette co-référence. Concierge, chemise, lit, ville, charrette constituent une micro-sémiotique qui s’est organisée autour d’une représentation pathogène. Tout ceci implique que, dans ce nouveau langage le signe soit considéré au départ comme autonome, ouvert à toute forme d’associations. Le sens réside essentiellement dans le rapport entre les signes. La notion d’association est au centre de ce nouveau langage et le terme revient très souvent aussi bien sous la plume de J. Brauer que sous celle de S. Freud. On retiendra de ce qui précède d’une part la fonction fondamentale qu’assume la notion d’association, de l’autre, l’étroite imbrication de la vision et du langage qui constituent, comme je le faisais observer plus haut, une unité indissoluble. Cette posture épistémologique, qui joue un rôle capital dans la genèse de la psychanalyse, convoque, dans les travaux de Freud, un discours scientifique spécifique qui nous renvoie à l’Optique physiologique de l’École de Helmholtz. Dans la façon dont fonctionne ce discours, se donne à voir une structuration majeure qui oppose l’impression, enregistrement passif par la rétine - interface entre l’extérieur et l’intérieur - à la sensation qui « est l’œuvre non du nerf optique mais du cerveau ».Ceci nous ramène à ce que dit Freud du « schéma psychologique de la représentation du mot » qui fait apparaître le caractère indissociable des deux éléments constitutifs d’une même unité (image sonore du mot +représentation visuelle de l’objet) t ).

Schéma que Freud commente ainsi : « La représentation de mot apparaît comme un complexe représentatif clos, la représentation d’objet par contre comme un complexe ouvert. La représentation de mot n’est pas reliée à la représentation d’objet par toutes ses parties constituantes, mais seulement par l’image sonore. Parmi les associations d’objet, ce sont les visuelles qui représentent l’objet de la même façon que l’image sonore représente le mot. »(Freud : 1983, Paris PUF,127)

4- De l’image sonore de Freud à l’image acoustique de Saussure

Cette définition proposée par Freud est d’une importance tout à fait évidente car elle permet d’articuler directement la pensée de Freud sur les travaux menés, dans le même temps historique, par F. de Saussure, qui, de son côté, définit, dans un premier temps, le signifiant comme une « image acoustique ».

« Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique. Cette dernière n’est pas le son matériel, chose purement physique, mais l’empreinte psychique de ce son, la représentation que nous en donne le témoignage de nos sens ; elle est sensorielle, et s’il nous arrive de l’appeler ‘matérielle’ c’est seulement dans ce sens et par opposition à l’autre terme de l’association, le concept, généralement plus abstrait..Le caractère psychique de nos images acoustiques apparaît bien quand nous observons notre propre langage. Sans remuer les lèvres ni la langue, nous pouvons nous parler à nous-mêmes ou nous réciter mentalement une pièce de vers. C’est parce que les mots de la langue sont pour nous des images acoustiques qu’il faut éviter de parler des ‘phonèmes’ dont ils sont composés. Ce terme impliquant une idée d’action vocale ne peut convenir qu’au mot parlé, à la réalisation de l’image intérieure dans le discours. » (Saussure :1967,98)

Cette citation a été souvent reprise sans qu’on n’ait apparemment perçu ce qui, en elle, intéresse mon propos, à savoir l’évidence avec laquelle se donne à voir la distinction faite par Saussure entre le phénomène physique ( le son matériel) et l’espace psychique (l’empreinte psychique de ce son) où se construit une ‘représentation sensorielle’, une ‘image intérieure’, c’est à dire littéralement une sensation. L’image acoustique , - le signe- est de nature psychique. En effet :

Nous appelons signe la combinaison du concept et de l’image acoustique mais dans l’usage courant ce terme désigne généralement l’image acoustique seule, par exemple un mot (arbor etc.). On oublie que si arbor est appelé signe, ce n’est qu’en tant qu’il porte le concept ‘arbre’ de telle sorte que l’idée de la partie sensorielle implique celle du tout. (Ibid, 99, c’est moi qui souligne)

Les deux définitions du signe (Saussure) ou du mot (Freud) coïncident parfaitement : elles réalisent l’une et l’autre l’opposition proposée par l’Optique physiologique entre l’impression et la sensation ; l’empreinte psychique du son « réalisation de l’image intérieure dans le discours » et dont la nature est sensorielle, témoigne d’un parcours similaire à celui qui à partir de l’impression rétinienne produit cette « œuvre du cerveau » qu’est la sensation.
Mais regardons plus attentivement ces deux expressions, en les considérant comme des microphénomènes discursifs chargés d’une signification historique particulièrement dense. Au-delà du discours scientifique de Freud qui commente les résultats de ses recherches cliniques sur le fonctionnement du cerveau, l’une et l’autre renvoient en effet à un contexte discursif plus large et plus particulièrement à la notion de synesthésie dont le terme, ou les éléments de la problématique que le même terme véhicule, apparaissent dans les années 1860, d’abord dans les champs clinique et scientifique des théories de la perception et, à partir de là, dans les Essais théoriques sur l’Art. Les corrélations inter sensorielles font en effet l’objet de nombreux commentaires dans les dernières décennies du XIXe siècle. Marcella Lista signale ainsi que :

C’est au peintre et musicien allemand Johann Leonard Hoffmann que l’on doit, à la fin du XVIIIe siècle, la première répartition des couleurs dans les grandes familles de timbres : le bleu aux cordes frottées (violon, alto, violoncelle), le vert à la voix humaine ; les couleurs chaudes (du jaune jusqu’au pourpre) aux bois et aux cuivres (trompette, cor, flûte traversière, hautbois, cor, basson). Ce parallèle devient lettre poétique chez son homonyme E.T.A. Hoffmann, dans le célèbre passage des Kreisleriana relevé par Baudelaire, où, au gré d’un état particulier associant le vin, la musique et l’engourdissement de la conscience, la synesthésie se déploie dans une dimension onirique : « Ce n’est pas tant en rêve que dans cet état de délire qui précède le sommeil, et plus particulièrement quand j’ai entendu beaucoup de musique, que je perçois comme un accord général des couleurs, des sons et des parfums. Il me semble que tous se manifestent de la même façon mystérieuse, comme à travers un rayon lumineux, pour s’unir en un merveilleux concert. » (Lista, 2003, 216)

Au début du siècle suivant, en 1904, un biologiste comme Le Dantec pense que « (l)a science nous amènera peut-être un jour à connaître tous les phénomènes du monde avec un seul de nos sens, et ce sera vraiment le monisme » et il substitue, à la notion anatomique de sens, celle de langage ( le langage couleur, le langage timbre, le langage palper, le langage odeur, le langage saveur). La réversibilité d’un langage à l’autre permet de concevoir ‘une langue universelle des sensations’. ( Sur ces différents points voir Roque 2003 et Rousseau, 2003). Pour Kupka, dans La Création dans les arts plastiques, « la réalisation d’une œuvre plastique requiert la collaboration de tous les sens » et la mémoire des sens « a pour effet d’élargir nos impressions, donnant ainsi des aspects colorés aux odeurs, assimilant aux couleurs des sons qui les nuancent, qui les vocalisent, qui les enrichissent de demi-tons chromatiques etc » Lorsque se trouve évoquée, à la même époque, une ‘harmonie des couleurs’ ou , mieux encore, une ‘musique des couleurs’ il ne s’agit donc pas, contrairement à ce qu’on pourrait penser à première vue, de simples métaphores mais d’expressions à prendre au pied de la lettre, qui d’une certaine façon transcrivent, sous une autre forme, ce que transcrivent les définitions de Freud ou de Saussure. Dans la Psychologie naturelle (1898), William Nicati écrit que « Les longueurs d’ondes des principales teintes forment ensemble une progression géométrique exactement comme en musique les octaves. On sait que chaque octave musical représente un nombre de vibrations double de l’octave précédent et moitié de celui qui l’a précédé. » Cette citation de Nicati nous rappelle que la notion de synesthésie s’est développée sous l’effet de deux paradigmes dominants : le modèle de la transformation électrique des sensations et, surtout sans doute, celui de la théorie vibratoire propagée, entre autres, précisément dès 1853, par l’Optique physiologique de Helmholtz.
On s’arrêtera sur une autre trace discursive qui se trouve inscrite dans la définition que donne Saussure du signe linguistique, lorsqu’il précise que l’image acoustique « n’est pas le son matériel, chose purement physique, mais l’empreinte psychique de ce son ». Le terme d’empreinte est lui aussi chargé d’une signification historique qui nous renvoie aux mêmes origines , dans la mesure où elle évoque , à son tour, les recherches qui ont été menées pour traduire en termes graphiques des sensations auditives et qui ont abouti à l’invention du phonographe en 1877, par Charles Cros. ( C’est le18 avril 1877 que celui-ci dépose auprès de l’Académie des Sciences un pli cacheté où il décrit le fonctionnement théorique du phonographe. )
Une autre coïncidence mérite d’être relevée : cette dernière porte sur l’association indissoluble de la représentation du signe et de la chose. Nous l’avons vu pour Freud mais il en est de même chez Saussure pour qui le concept, qui est « un fait de conscience » est associé à la représentation mentale de l’image acoustique, c’est-à-dire du signe :

Le point de départ du circuit est dans le cerveau de l’une, par exemple A, où les faits de conscience, que nous appellerons concepts, se trouvent associés aux représentations des signes linguistiques ou images acoustiques servant à leur expression. Supposons qu’un concept donné déclenche dans le cerveau une image acoustique correspondante : c’est un phénomène entièrement psychique, suivi à son tour d’un procès physiologique : le cerveau transmet aux organes de la phonation une impulsion corrélative à l’image ; puis les ondes sonores se prolongent de la bouche de A à l’oreille de B, procès purement physique. Ensuite, le circuit se prolonge en B dans un ordre inverse : de l’oreille au cerveau, transmission physiologique de l’image acoustique ; dans le cerveau, association psychique de cette image avec le concept correspondant..[…] Nous n’avons tenu compte que des éléments jugés essentiels ; mais notre figure permet de distinguer d’emblée les parties physiques (ondes sonores) des physiologiques (phonation et audition) et psychiques (images verbales et concepts). Il est en effet capital de remarquer que l’image verbale ne se confond pas avec le son lui-même et qu’elle est psychique au même titre que le concept qui lui est associé. Le circuit, tel que nous l’avons représenté, peut se diviser encore : […] en une partie extérieure (vibration des sons allant de la bouche à l’oreille) et une partie intérieure, comprenant tout le reste. (Saussure : 2005, 27-29, c’est moi qui souligne.)

Lorsqu’on les rétablit dans leur contexte socio discursif, ces expressions, forgées respectivement par Freud et par Saussure, se donnent à voir comme des réalisations parfaitement similaires d’un même schéma conceptuel. Elles prennent une évidente densité de sens qui procède du fait qu’elles dévoilent ainsi les liens qui les enracinent dans l’histoire de la pensée et, et au-delà de cette histoire, dans celles de la recherche scientifique et du progrès technologique, en phase directe avec la dynamique de l’infrastructure. Elles fonctionnent, dans une certaine mesure, comme des idéologèmes qui, en dernière instance, nous renvoient à une période historique qui correspond à l’apogée du positivisme (1880-1910).
Ainsi se trouve démontrée l’architecture qui préside au fonctionnement des différents niveaux du Grand Tout Historique et dont dépend tout un champ culturel. Il n’est en effet pas négligeable d’observer que des épistémès comme la psychanalyse et la sémiologie qui ont eu un impact fondamental sur l’ensemble des sciences humaines tout au long du XXe siècle sont, en grande partie du moins, des produits de l’histoire des sciences, médiatisés par certains déplacements de sens exercés par des instances intermédiaires. Je reviendrai sur ces instances intermédiaires à la fin du chapitre suivant.
Car ces diverses coïncidences ne sont pas fortuites. Elles témoignent d’un procès de redistribution du discours scientifique que j’ai identifié plus haut, discours qui, dans la façon dont il circule dans l’espace d’un champ culturel donné en fonction des modélisations impliquées et d’un ensemble de circonstances spécifiques, s’est structuré autour d’un axe majeur, à savoir l’opposition entre l’extérieur et l’intérieur , l’impression et la sensation. Cette opposition entraîne d’autres reconfigurations conceptuelles qui portent sur la perception et une philosophie du langage qui fonde ce qui va devenir le structuralisme. Au-delà et en dehors de la genèse de la psychanalyse et de la sémiologie, les effets d’une telle avancée scientifique sont perceptibles dans l’ensemble des divers champs culturels de la fin du XIXe siècle et du début du XXe et, entre autres, dans le débat sur l’art non figuratif. Il convient en effet d’essayer d’insérer ce discours scientifique dans un ensemble discursif plus large.
Extrait de : Cros Edmond, De Freud aux neurosciences et à la critique des textes, Paris, L’Harmattan, 2011

Posté le 25 novembre 2016 par Edmond Cros
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